Nous voilà pour la troisième fois en sept mois saisis de la question de la transmission de l'information des parquets à l'administration et de la protection des mineurs.

Après la censure (pour des raisons de procédure) de dispositions similaires par le Conseil constitutionnel en août dernier dans la loi DADUE et après l'adoption par le Sénat, en octobre, de la proposition de loi relative à la protection des mineurs contre les auteurs d'agressions sexuelles.

Si nous avions, lors de l'examen de cette proposition de loi souligné l'opportunisme politique de la droite sur un tel sujet (alors que le gouvernement soumettait au même moment son texte au Conseil d'Etat), nous regrettons aujourd'hui la méthode employée par le gouvernement, un tant soit peu irrespectueuse de l'initiative parlementaire et des travaux du Sénat.

Sur le fond, ce projet de loi organise la possibilité pour les parquets de communiquer à l'administration certaines décisions prises par l'autorité judiciaire, qu'il s'agisse d'une condamnation ou de l'existence de poursuites pénales.

Sont institués, à la fois un régime général applicable à toutes les personnes exerçant des activités soumises à contrôle mises en cause pour des infractions de tous types et un régime particulier pour les personnes en contact avec les mineurs mises en cause pour certaines infractions, avec l'introduction de deux nouveaux articles dans le Code de procédure pénale (article 11-2 et article 706-47-4).

Evidemment, il y a urgence à améliorer notre système de transmission d'informations pénales, compte tenu des pratiques disparates des parquets en la matière et des actuelles incertitudes juridiques entourant cette problématique.

D'autant plus que le rapport commun de l'inspection générale des services judiciaires et de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche a estimé qu'il « ne pouvait être exclu que des situations identiques à celles de l'Isère et de l'Ille-et-Vilaine ne se reproduisent », en l'état.

Mais, la question de la transmission de l'information se pose en des termes différents selon que la communication porte : - sur des condamnations → aucune question ne se pose alors sur la transmission qui doit être rapide et systématique ;
- ou sur des éléments d'une procédure en cours.

En ce sens, la commission des lois - par l'intermédiaire du rapporteur du texte, François Zocchetto, dont je salue le travail - a rendu le texte plus acceptable, notamment en supprimant la possibilité de la transmission à l'issue d'une garde à vue ou d'une audition libre. Constituée à un stade trop précoce d'information et effectuée dans un cadre procédural non contradictoire, la transmission ne permettait effectivement pas à la personne mise en cause de bénéficier des droits de la défense.

Toutefois, cette transmission reste possible en cours de procédure, en cas de mise en examen ou de renvoi devant une juridiction (c'est-à-dire avant que la condamnation ne soit définitive). Selon nous, cette dernière modalité de transmission porte gravement atteinte à notre principe constitutionnel de présomption d'innocence.

En effet, comme le soulignait justement notre collègue Alain Anziani en commission, ce projet de loi invente une nouvelle catégorie juridique : désormais une personne interpelée reste présumée innocente mais son employeur est alerté par le Parquet de sa possible culpabilité.

La présomption d'innocence deviendrait dès lors proportionnelle au retentissement médiatique de la mise en accusation.

Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons transiger sur les principes et les droits fondamentaux, tout particulièrement dans la période actuelle. Rappelons que la présomption d'innocence – qui figure à l'article 11 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, à l'article 9 de la Déclaration de 1789, dans notre Code pénal et dans notre Code civil - consiste en ce que nul ne puisse être déclaré coupable sans qu'un procès public n'en ait décidé.

De plus, face au manque flagrant de moyens du Parquet, force est de constater la portée infime d'un tel texte qui revêt davantage le caractère d'une loi d'affichage.

Le principe d'un régime général de transmission d'informations sous certaines garanties se heurte nécessairement à l'état de fonctionnement des parquets « qui ne peuvent plus répondre à l'ensemble de leurs missions » (lesquelles n'ont par ailleurs cessé d'augmenter en matière civile comme en matière pénale), comme le rappelle un rapport de Jean-Louis Nadal de novembre 2013. Ce qui nous conduit à douter de l'efficacité d'un tel dispositif.

D'ailleurs, comme le souligne la conférence nationale des procureurs de la République sollicitée par le rapporteur, « les juridictions ne disposent à ce jour d'aucun outil informatisé d'alerte permettant de remplir les nouvelles missions imposées par le texte ». Et encore moins s'il s'agit de mettre en œuvre les nouvelles dispositions législatives alors que des milliers de procédures concernées sont actuellement en cours.

De plus, le rapport des inspections générales concernées est clair : les obstacles à la transmission sont essentiellement liés à des problèmes organisationnels, à une insuffisance des moyens informatiques, ainsi qu'à un manque d'interlocuteurs bien identifiés, avec des responsabilités claires au sein des rectorats, et l'absence de dispositif d'alerte structuré.

Tous ces dysfonctionnements de nature technique et organisationnelle ne seront résolus que par une nécessaire réorganisation des services judiciaires et de l'éducation nationale.

A charge, bien sûr, pour le gouvernement de s'emparer des 9 recommandations de nature technique et organisationnelle, formulées par les inspections générales concernées. C'est, semble-t-il, ce qu'il a commencé à faire par voie réglementaire.

Face à une problématique de cette gravité, et pour protéger efficacement nos mineurs de personnes effectivement dangereuses, il nous apparaît essentiel de réfléchir calmement aux réelles dispositions à mettre en place, en dehors de l'effervescence et de la confusion qui entourent ce projet de loi et qui dénotent l'émotion et l'affichage médiatique latents.

En outre, au regard de l'atteinte inadmissible portée au principe de présomption d'innocence et du manque de moyens pour mener à bien tout projet de réorganisation des services judiciaires et de l'éducation nationale, nous ne pourrons voter en faveur de ce texte.

Billet original sur Senat Groupe CRC