Quatre ans après la conférence environnementale, nous voici enfin réunis pour débattre du projet de loi visant à la reconquête de la biodiversité.

Nous le savons tous : protéger aujourd'hui la biodiversité, c'est créer les conditions pour assurer demain un avenir à l'humanité.

La France a une responsabilité particulière. Grâce à ses territoires d'outre-mer et à l'importance de son espace maritime, le deuxième au monde, elle est l'un des pays les plus remarquables par la richesse et la diversité de ses paysages et de ses écosystèmes.

Ce texte est attendu. Après la loi fondatrice de 1976, il marque un pas supplémentaire pour la protection de la biodiversité.

Nos débats, je l'espère, seront à l'image de la qualité des travaux de commission, marqués par un climat constructif sous la houlette de notre rapporteur, le sénateur Bignon.

L'entreprise de définition réalisée, notamment au titre premier, est considérable et constitue un atout important de ce projet de loi. Notamment, nous partageons la définition de la biodiversité comme un système vivant, dynamique et interactif. C'est une avancée importante, qui rompt avec l'approche patrimoniale de la loi de 1976.

Il est, par ailleurs, bienvenu de placer cette définition dans une vision écosystémique en évolution permanente. Outre la protection des espèces et espaces remarquables, il s'agit aujourd'hui de plus en plus de favoriser la biodiversité ordinaire, les corridors écologiques et de permettre aux espèces de faire face aux conséquences du changement climatique ou au morcellement de leur habitat, y compris en milieu urbain. Ces questions sont au cœur de ce texte.

Il y a urgence à agir pour la biodiversité. Chaque année, ce sont 17 000 espèces qui disparaissent. Les scientifiques parlent d'une sixième crise d'extinction des espèces et estiment que 60% des services écosystémiques mondiaux sont dégradés.

Nous sommes donc à un moment charnière, à l'instar de la question du climat.

Je me rappelle, il y a dix ans déjà, nous avions organisé ici même, un colloque sur cette question, sous la houlette des sénateurs Jean-François Legrand et Marie Christine Blandin, avec le parrainage d'Hubert Reeves qui a fondé la ligue Roc, devenue Humanité et Biodiversité.

Depuis, les consciences continuent de progresser. Le constat que l'activité humaine est à l'origine de la dégradation écologique est validé. De même que nous savons maintenant que l'humanité en subit les conséquences. L'idée qu'il faut redéfinir ce qu'est le progrès et les conditions qui sont nécessaires pour y conduire, émerge de plus en plus fort dans la société. Nicolas Hulot nous appelle même à « oser » changer la société.

Parmi les mesures phares du projet de loi figure la création, au 1er janvier 2016, repoussée au 1er janvier 2017, d'une Agence française pour la biodiversité, prévue au titre III. La création de cet opérateur unique devrait être gage de cohérence et d'efficacité. Elle traduit un changement d'approche et la volonté de cesser de cloisonner biodiversité sèche, humide et aquatique puisque le vivant est un tout. Nous partageons la démarche.

Cet établissement public sera chargé d'animer et de coordonner la mise en œuvre des politiques publiques dans les domaines de la connaissance, de la prévention, de la conservation et de la protection de la biodiversité.

Aujourd'hui, 225 millions sont annoncés pour cette agence. Ils correspondent à la simple addition des moyens des entités existantes fusionnées. Les 60 millions supplémentaires sont des aides dans le cadre des investissements d'avenir et dont l'appel à projets a été confié par le ministère à l'ADEME, qui n'a pas de compétence en interne sur la biodiversité.

C'est étrange et bien peu ! Rappelons que les premiers travaux de préfiguration de 2013 chiffraient les besoins à 400 millions d'euros par an, chiffre repris par le second rapport de préfiguration, remis en juin dernier.

Une chose est claire : la seule fiscalité de l'eau ne pourra financer l'ensemble de la biodiversité.

Or tel que prévu, le budget de l'AFB sera pour majeure partie lié aux ressources des agences de l'eau via l'ONEMA. Les agences contribueront ainsi à hauteur de 150 millions.

Or, ces ressources proviennent à 80% des ménages par leurs factures d'eau. Ce financement est donc particulièrement injuste faisant financer la biodiversité par les ménages.

Dans ce cadre, l'élargissement des compétences des agences de l'eau à l'ensemble de la biodiversité par l'adoption d'un amendement gouvernemental à l'Assemblée nationale ne peut nous satisfaire.

Nous pouvons comprendre que les agences financent des projets liés au milieu marin en raison de la continuité des eaux douces, littorales et marines.

Mais étendre la compétence à l'ensemble de la biodiversité terrestre, cela va beaucoup trop loin.

En l'état, cette mesure ouvre la voie à un désengagement financier total de l'Etat, qui se reposeraient donc sur les agences de l'eau, en contradiction avec le grenelle de l'environnement qui avait formulé l'objectif d'engagement de 300 millions par an de crédits budgétaires en faveur de la biodiversité. Avec 150 millions au budget 2016, nous en sommes très loin.

Ceci sans compter la contribution directe des agences de l'eau au budget de l'Etat, par le prélèvement sur leur fonds de roulement.

C'est donc la double peine : elles devront faire plus à ressources constantes, tout en continuant d'alimenter le budget de l'Etat. Comment ne pas craindre dans ce cadre et faute de ressources supplémentaire une hausse des redevances pour les usagers ?

La mission de préfiguration renvoie maintenant la question financière au comité pour l'économie verte. Il faut espérer que ses conclusions ne subiront pas le sort des préconisations du groupe déchets en matière fiscale.

Un débat doit rapidement être ouvert sur les moyens, comme le demande l'avis du CNTE sur le projet de loi en décembre 2013, relancées par l'appel du colloque de Strasbourg consacré à l'AFB en mai 2015 et évoquées aux Assises nationales de la Biodiversité en juin 2015.

A ce titre, nous vous avons alerté, Madame la Ministre. La loi de finances pour 2016, prévoit 76 nouvelles suppressions d'emplois dans les établissements publics de l'Etat chargés d'eau et de biodiversité dont la moitié sur ceux du périmètre de la future AFB !

L'absence d'un dialogue plus poussé avec les organisations syndicales est un problème. En effet, les personnels de l'environnement vivent la création de l'AFB non comme une chance mais comme la suppression de l'ONEMA. Nous regrettons que les discussions soient à l'arrêt concernant la situation des contractuels, à la fois leur nouveau statut comme leurs conditions de titularisation.

Pour défendre la biodiversité, il faut des agents du service public reconnus et valorisés dans leurs statuts et conditions d'exercice des missions. Ils seront en grève le 4 février prochain à l'appel de leur intersyndicale, nous les soutiendrons.

En ce qui concerne la gouvernance, nous estimons que la cohérence et les missions, et même les financements… de la future AFB pâtiront de l'absence de l'ONCFS en son sein. Nous espérons donc que cette situation évoluera vers une intégration, et nous proposerons l'adoption d'un amendement en ce sens.

Si nous avons proposé et fait adopter la création de délégations territoriales de l'agence, c'est que nous pensions allier la nécessaire proximité et le fait qu'il s'agit de politiques nationales nécessitant une adaptation territoriale.

Le gouvernement, au travers l'amendement déposé, organise quant à lui une mutualisation avec les régions volontaires.

A terme, nous pouvons raisonnablement penser qu'il s'agit de déléguer ses missions, ce qui ouvre la voie à un transfert de compétence.

Vous le savez nous ne partageons pas cette philosophie fédéraliste. Une telle situation ajoute de plus pour les agents de l'Etat de l'incertitude et une inquiétude sur des redéploiements possibles.

Dans ce cadre, le rapprochement prévu des polices de l'environnement entre l'ONCFS et l'ONEMA est un signal à conforter à condition qu'il ne s'agisse pas d'un énième plan pour réduire les moyens, comme ce fut le cas avec la RGPP en 2008.

La concrétisation du projet dépendra donc au final d'une clarification des objectifs, de l'engagement des moyens budgétaires supplémentaires de l'Etat, de l'identification des coopérations entre les services, les établissements publics de l'Etat et l'ensemble des collectivités territoriales qui, il faut le souligner, sont moteurs en matière d'investissement en faveur de la biodiversité.

Nous saluons, au titre II, la création du comité national de la biodiversité, structure commune pour que l'ensemble des instances ayant un rapport avec la biodiversité, se parlent et travaillent ensemble. Nous regrettons simplement que la loi renvoie à un décret pour en fixer les compétences.

Le titre IV transpose le Protocole de Nagoya, qui modifie la Convention sur la diversité biologique de 1992. L'objectif est de prévoir un dispositif d'accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles associées, présentes sur notre territoire, et de définir les modalités de partage des avantages issus de l'utilisation de ces ressources. Nous proposerons des amendements pour garantir une plus grande équité dans ce partage. Cependant, ce dispositif est très contestable. En effet, en 1992, on a fait le choix de conserver la biodiversité par la mise en marché de ses éléments, les « ressources génétiques ». Or, nous continuerons de dire que ces ressources ne devraient pas être assimilées à des biens marchands. Nous proposerons des amendements sur la notion de service écosystémique, le calcul de leur valeur monétaire, la multiplication des brevets sur le vivant, parce que cela participe à la privatisation de la nature et contribue à l'appauvrissement de la notion de bien commun qui devrait pourtant prévaloir. L'argument étant que les marchés ne pourraient pas prendre en compte les biens sans valeur monétaire. Si tous les pays et l'OMC décidaient de faire de la politique, on pourrait affirmer que l'économie est au service des hommes et pas le contraire. Mais je rêve !

Parlons maintenant du titre V. Cette loi crée ou renforce des outils pour la protection de l'environnement ; à savoir les obligations réelles environnementales, la création d'espaces de continuité écologique, l'extension de la protection des espèces à la zone économique exclusive et au plateau continental, les sanctions renforcées en cas d'atteinte à la biodiversité, une cohérence consolidée au sein des documents d'urbanisme des collectivités territoriales…pour ne citer que quelques mesures. C'est considérable.

Cependant, nous regrettons l'évolution en commission qui a conduit à la suppression de l'article sur les produits phytosanitaires de la famille des néonicotinoïdes. Nous proposerons son rétablissement.

Concernant le titre VI portant sur les paysages, nous sommes satisfaits de la réécriture en commission qui permet de conserver pour l'avenir la possibilité de désigner des sites « inscrits ».

J'en viens maintenant au sujet qui nous préoccupe particulièrement, les réserves d'actifs naturels.

Ces dispositions ont été insérées à l'Assemblée Nationale. Il s'agit de définir les conditions de la compensation telle que prévue selon le principe ERC, reconnu dans notre droit et prévu dans les traités internationaux. Le principe « ERC » veut qu'il convient d'abord d'Eviter, puis de Réduire et enfin de Compenser les effets des activités humaines sur la nature et la biodiversité.

En engageant la réglementation de cette compensation, à l'aide d'un dispositif dit de réserve d'actifs, ce projet de loi organise un pas vers la financiarisation de la biodiversité, à l'image du processus engagé dans le cadre du marché carbone. Payer pour avoir le droit de polluer, ou celui de détruire, c'est une attitude de pays riches, c'est un concept qui n'a pas fait ses preuves en matière de développement durable, et pour cause, puisqu'il repeint en vert un marché financier spéculatif. Cette conception capitaliste ne prend pas en compte le fait que chaque élément de la biodiversité est unique, et que le principe même d'équivalence écologique est contestable.

C'est sous l'intense lobbying mené par la Caisse des Dépôts et Consignations, elle-même opérateur dans ce domaine, que le projet de loi introduit donc la notion de « réserves d'actifs naturels ». Nous sommes totalement opposés à cette forme de monétarisation de la protection de l'environnement.

Nous espérons que nos débats permettront de faire évoluer ce projet de loi sur ce point.

Voilà mes chers collègues, les quelques éléments que je voulais évoquer à l'ouverture de nos débats, sur un sujet qui mériterait autant d'engagement que le climat. Madame la Ministre, à quand une COP à Paris sur la biodiversité ?

Billet original sur Senat Groupe CRC