5,34 Milliards d'euros de dépense fiscale constatée en 2015, et 5,88 milliards d'euros en 2016 au titre du CIR.

Voilà la somme que la non-publication du rapport de mon amie et collègue Brigitte Gonthier-Maurin n'a pas permis de porter à la connaissance du grand public, pas plus que d'y apporter la moindre approche pratique.

Pareille mésaventure survint en juillet 2014 à notre collègue Michelle Demessine qui constata, je le cite, « que l'efficacité des exonérations en terme d'emplois n'était pas établie, elle proposait ensuite une remise à plat des exonérations des cotisations sociales ». Brigitte Gonthier-Maurin proposait pour sa part, non pas une suppression pure et simple, idéologique, radicale du CIR, mais sans doute un meilleur ciblage. Y aurait-il une malédiction pour notre groupe lorsqu'il s'agit d'interroger l'efficacité de l'argent public alloué par milliards au monde des entreprises ?
Quand le Parlement, pourtant en charge, de par la Constitution, de vérifier le bon usage des deniers publics, de l'argent que les Françaises et Français confient à l'État pour réduire les inégalités sociales et économiques et répondre aux besoins collectifs, s'autocensure en ne publiant pas le résultat de ses propres travaux, ce ne peut être qu'au mieux regrettable, au pire une atteinte aux principes de la démocratie représentative !

Nous avons tous le droit de nous interroger sur le bien-fondé de cette dépense fiscale importante et sur ses effets concrets sur l'activité économique, sur celle des laboratoires de recherche, sur l'emploi des docteurs et doctorants, sur le devenir de nos Universités et établissements publics, et je pourrais allonger la liste sans difficulté !

L'enjeu est connu : notre économie ne peut se développer et trouver, notamment, les voies d'une croissance économe en ressources naturelles et respectueuse du travail des hommes et des femmes, que si l'effort de recherche trouve sa pleine expression.

Pour ne prendre que l'actualité récente que je ne saurais qualifier de « brûlante » des enjeux de la COP 21, il est évident que nous devons renforcer les potentiels de recherche et d'expérimentation dans les domaines des économies d'énergie, du recyclage de matériaux jusqu'ici voués à l'abandon, des énergies renouvelables, des modes de transport économe, entre autres.
N'oublions pas qu'à l'entrée, les investissements en recherche des entreprises bénéficient de la TVA déductible, parfois de certaines formes d'amortissement dégressif et qu'à la sortie, ils peuvent aussi se traduire par la plus faible taxation des reventes de brevets !
5,58 Mds d'euros de CIR prévus en 2016, cela veut dire l'équivalent de 10 % de l'impôt sur les sociétés brut !

C'est un peu comme si les ménages mensualisés pour l'impôt sur le revenu étaient exemptés d'un versement !

Mais 5,6 Mds d'euros, cela représente aussi, par exemple, plus de 40 % des crédits ouverts pour le fonctionnement de nos Universités et notamment le recrutement et la rémunération des enseignants chercheurs et plus de 2 fois les crédits que nous consacrerons en 2016 à l'amélioration des conditions de vie des deux millions et demi d'étudiants que compte notre pays !
Nous pouvons d'ailleurs nous demander, de manière liminaire, s'il y a lieu d'apporter aux entreprises une « facilité fiscale » de plus, pour une activité somme toute naturelle (celle de rechercher et d'innover pour produire plus et mieux à moindre coût) de l'entreprise si tant est qu'elle veuille se développer et tenir face à la concurrence.

Parce que des crédits d'impôt et des mesures fiscales dérogatoires, il y en a tant et tant pour les entreprises qu'on en vient à se demander si la France, contrairement à ce qui est dit si souvent, est un authentique paradis fiscal légal !

Au-delà du seul cas du CIR, bien entendu, puisque le budget de l'État, à la lecture des documents fournis par le Ministère lui-même, comprend pour près de 175 Mds d'euros de mesures d'allégement fiscal, de remboursement, de dégrèvement et autres destinées aux seules entreprises.

Le tout pour parvenir à un impôt sur les sociétés rapportant à peine plus de 30 Mds d'euros...
Le crédit d'impôt recherche est censé faciliter le développement de l'emploi technique, de l'ingénierie, l'emploi scientifique.

Atteint on l'objectif, dans un contexte marqué par la précarisation du travail des équipes de recherche, notamment dans les établissements publics où les budgets consistent désormais en enveloppes fongibles et non plus en postes budgétaires ?

On pourrait le penser vu la hausse régulière du nombre d'entreprises (cela a été rappelé) qui sollicitent le crédit d'impôt.

Mais, en fait, il semble bien que, dans sa grande habitude à savoir répartir les coûts, certaines entreprises aient décidé de jouer des effets du seuil du dispositif CIR pour multiplier les petites structures de recherche « dédiée », sociétés sous-traitantes et vassales des groupes pour lesquelles elles sont appelées à consommer de la « matière grise » pour produire de la dépense éligible au crédit d'impôt !

C'est-à-dire qu'à la précarisation renforcée de l'emploi dans les organismes publics de recherche, victimes des politiques d'austérité et de réduction de la dépense publique, nous ajoutons la précarisation de l'emploi dans le secteur privé, le crédit d'impôt suscitant la création d'entreprises de petite taille et de durée de vie limitée.

Comme est étrange le fait, tout de même, de constater que sous le quinquennat de M. Sarkozy, nous n'eûmes qu'une erratique croissance d'un dixième de point par.

C'est-à-dire que, outre d'avoir battu chaque année le record des aides publiques directes ou indirectes aux entreprises, tout cela n'aura finalement pas servi à grand-chose du point de vue de la croissance et, in fine, de l'emploi.

Peu contrôlé, peu évalué (y compris parce que des directives semblent avoir été données dans ce sens), le crédit d'impôt recherche a besoin d'être repensé, c'est ce que Brigitte Gonthier-Maurin préconisait.

Repensé quant à son architecture, en ayant le souci de parer la tentation de l'optimisation fiscale qui l'accompagne aujourd'hui et dans laquelle un certain nombre d'entreprises se sont essayées depuis la réforme de 2008.

Repensé aussi quant à son interaction avec d'autres formes d'aides publiques, notamment quand les compétences économiques désormais dévolues aux Régions leur donnent, en lien avec leurs moyens propres, leurs relations avec la Banque Publique d'Investissement et les structures régionales de bien des établissements bancaires, quelque possibilité pour mobiliser, au bénéfice des entreprises, comme de l'emploi qualifié, les ressources financières nécessaires.

Le crédit d'impôt recherche, comme le CICE pour des raisons comparables, ne peut plus être quasi aveuglément distribué, sans contrôle citoyen, que celui-ci prenne la voie des Conseils régionaux ou, dans l'entreprise, celui des prérogatives des instances représentatives du personnel (Comités d'entreprise ou délégués du personnel).
L'argent public est une denrée rare.

Vouloir s'en servir avec parcimonie et à bon escient est une bonne règle de gestion.
La situation du crédit impôt recherche nécessite, de notre point de vue, que cet effort soit accompli.

Billet original sur Senat Groupe CRC