Alors que la dépense budgétaire directe est régulièrement soumise à contrôles et évaluation, il semble ne pas en être de même pour la dépense fiscale.

En témoigne, le sort réservé au rapport de la commission d'enquête sur le crédit d'impôt recherche, créée à l'initiative du groupe CRC dont j'étais la rapporteure.

Décréter la « sanctuarisation » d'une créance publique qui atteint aujourd'hui les 5,5 milliards d'euros dans le PLF 2016, ne saurait couper court aux interrogations, au débat et à l'exigence d'évaluation.

C'est la raison pour laquelle mon groupe s'est mobilisé pour la tenue de ce débat en séance publique.

Rappelons que le CIR est le transfert consenti par l'État, au nom du contribuable, pour que les dépenses de recherche des entreprises privées progressent significativement et ainsi contribuent à une reprise de croissance durable.

Entre 2007 et 2012, le CIR a bondi de 1,8 à 5,3 milliards d'euros, suite à la réforme réalisée sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Au début des années 2000, cette créance n'était que de 500 millions d'euros.

Vous me répondrez que cela n'a rien d'anormal pour un outil qui se veut incitatif.
Cependant, « attractivité » ne signifie pas automatiquement « efficacité ».
C'est ce que montrait, le projet de rapport que j'avais proposé aux membres de la commission d'enquête.

Car incontestablement, les données macro-économiques ne sont pas rassurantes quant à la conformité du CIR aux attentes fixées par le législateur, c'est-à-dire au regard des efforts de R&D réellement consentis par les entreprises et leurs effets positifs sur l'emploi scientifique.

Premier constat : si la charge du CIR a considérablement augmenté, la dépense intérieure de recherche et de développement des entreprises (DIRDE) n'a pas suivi le profil d'augmentation correspondant.

Avec une créance de CIR en accroissement de 3,5 milliards d'euros entre 2007 et 2012, on se serait attendu à une progression de la DIRDE comprise entre 10,5 et 14 milliards d'euros, compte tenu du taux de couverture de la dépense de R&D par le CIR.
En réalité, la DIRDE n'est, en 2012, supérieure que de 5,3 milliards d'euros par rapport à son niveau de 2007.

Et cela pour un nombre de brevets atone.

Il existe donc bien un décalage entre l'avantage fiscal consenti et son effet.
Pour atténuer la perception de ce décalage, les promoteurs du CIR font état d'une « intensification de la R&D », dont le projet de rapport démontrait d'ailleurs le manque de sérieux.

Une méthode alternative de justification de l'efficacité du CIR a été fréquemment mentionnée : les fameuses estimations économétriques.
Nous avons auditionné des économistes et les deux principales méthodes employées ne permettent pas d'écrire cette équation. Je recommandais donc la réalisation d'une étude économétrique pluraliste et donc incontestable.

Le nombre de déclarants a également été démultiplié.
En 2008, les bénéficiaires regroupaient 8.951 entités.

La loi de finances 2015 faisait état de 16.200 entreprises émargeant au CIR ; celle de 2016 en pointe désormais 20.465 ; le dispositif est donc loin d'être stabilisé.
Il est particulièrement intéressant de s'intéresser à la mesure des facteurs de l'augmentation du CIR observée ces dernières années.
La « marge intensive » a joué avec une augmentation soudaine de l'avantage accordé aux grandes entreprises.

Leur effort de R&D n'augmente pas entre 2007 et 2009.
En revanche, leur créance de CIR double ou triple parfois. Cela ne veut pas dire que sur le long terme le CIR soit dépourvu d'effets positifs, mais il est beaucoup trop tôt pour s'en persuader.

Ce qui bouge vraiment, c'est la « marge extensive ».
C'est-à-dire le nombre d'entreprises qui entrent dans le dispositif.
Faisaient-elles de la R&D auparavant ? Sont-elles nouvelles ? D'où viennent-elles ? Sont-elles indépendantes ? Quel est leur devenir ? Sont-elles rachetées si elles ne meurent pas ? Et par qui ?

Quelles fonctionnalités le CIR assume-t-il vraiment pour elles ?
À ces questions, peu de réponses, car il n'existe pas d'outil de suivi.
Cela mérite pourtant attention, car nous savons que ces PME, souvent fragiles, voient dans le CIR, outil fiscal, le moyen de financement qui leur fait défaut auprès des banques.

Autre incertitude : la nature des dépenses éligibles, un des principaux motifs de redressement fiscal.

Ces dépenses font-elles réellement progresser l'état de l'art ?
Le projet de rapport mettait en évidence des zones de flou, notamment dans le domaine informatique et des professions financières.

À ces constats, s'ajoute celui d'une sous-administration patente.
Souvent présenté comme simple et efficace, le CIR n'est en fait que peu maîtrisé, peu contrôlé, faute de moyens dédiés suffisants.

En matière de contrôle fiscal, son taux de couverture est très faible.
Le chiffre avancé de 7 % donne une image trop flatteuse de la réalité, amalgamant le nombre de redressements et le nombre de déclarants. Car pour un même déclarant des dizaines de redressements peuvent intervenir.

En réalité, le taux de couverture du CIR n'est pas susceptible d'être supérieur au taux de couverture moyen de l'impôt sur les sociétés, soit 1,7 % environ.
Et peut-être même moins, compte tenu du nombre de dossiers à examiner.
Un CIR a donc une chance sur 100, à peu près, d'être contrôlé.
De plus, en dessous d'une certaine quotité, on ne le contrôle pas. Compte tenu de l'explosion des petits créanciers, cela revient tout de même à ne pas vérifier, d'emblée, quelque 30 % de la créance.

De surcroit, ce dispositif offre des possibilités d'optimisation fiscale scandaleuses à travers le lieu d'immatriculation de certains brevets, la pratique des prix de transfert et la localisation dans des paradis fiscaux des entités percevant des redevances découlant des brevets. Brevets qui, pour partie, sont financés par du CIR !
Quid alors pour le tissu économique et industriel français et pour l'emploi scientifique, du retour sur investissement de la mobilisation d'une telle créance publique ?

Le CIR est aussi une véritable aubaine pour des cabinets de conseil, dont les comportements prédateurs nous ont été décrits.

Ainsi les tarifs pratiqués par ces intermédiaires réduisent plus ou moins l'impact positif du CIR sur les bilans des entreprises d'un montant qui dépasse les 150 millions d'euros.

Un mot également sur le chevauchement des assiettes du CIR et du CICE, le crédit d'impôt compétitivité emploi, avec possibilité de cumuler ces deux avantages fiscaux.
Il existe un principe d'assiette du CIR qui est la soustraction des autres subventions publiques accordées aux entreprises, afin d'éviter un cumul d'avantages. Or cette règle n'est pas appliquée au CICE.

En découle un chevauchement qui certes ne concerne pas l'ensemble de l'assiette du CIR, mais une partie : celle correspondant aux rémunérations les moins élevées.
Ce chevauchement d'assiette pourrait représenter entre 360 et 600 millions d'euros, pour un coût en CIR compris entre 120 et 200 millions d'euros.
J'avais donc proposé la suppression pure et simple de cette duplication d'avantages. Et j'ai réitéré cette proposition lors du PLF 2016.

Qu'en est-il enfin des effets du CIR sur l'emploi scientifique ?
On nous indique que le nombre de chercheurs dans les entreprises privées a beaucoup augmenté en France.
Il existe sur ce point de très fortes interrogations.

Qui sont ces chercheurs ? Essentiellement des ingénieurs !

De plus, on constate une baisse significative de la durée du travail des chercheurs en entreprises qui conduit à supposer que beaucoup d'entre eux sont en situation de multi-activité, venant de compartiments du secteur public de la recherche où ils continuent d'exercer leur profession.

Quant à l'effet d'entrainement du CIR sur l'embauche des jeunes docteurs il est lui quasi nul.

Sur les requalifications de personnel au titre de la recherche, le Ministère (ESR) ne nie pas le besoin d'évaluer dans quelle mesure certains emplois ont été indûment déclarés dans le cadre du CIR, tout en considérant cette évaluation non prioritaire. Je ne partage pas cet avis.

Par contre, ce qui est manifeste, c'est que le CIR représente un allégement massif du coût de l'emploi scientifique.

Or, il est intéressant de noter que ce sont les pays où le coût du chercheur est le plus élevé qui ont des niveaux de R&D de leurs entreprises les plus forts.
De plus, ce dispositif, par trop aveugle, ne permet pas de cibler de grandes priorités de relance industrielle et s'articule difficilement avec les grands chantiers prioritaires que le gouvernement a fixés.

J'ai en mémoire le propos d'un grand groupe international estimant que le CIR — je cite — « par l'indétermination de son régime constitue un outil dangereux ».
Il est donc urgent, à minima, d'encadrer ce dispositif.

C'est ce que j'avais proposé, consciente de l'absence de consensus en faveur d'une réforme plus radicale, pour permettre, à tout le moins, de sécuriser un dispositif qui ne l'est pas et d'en renforcer l'efficience.
Or tout a été rejeté en bloc.

Cela ne peut qu'alimenter la suspicion à l'égard du CIR qui, au final, s'apparente davantage à un abaissement de l'impôt sur les sociétés, plutôt qu'une stimulation efficace de la R&D des entreprises privées.

Mes chers collègues, le législateur a la responsabilité de s'interroger sur l'usage et l'efficacité de la mobilisation d'un tel volume de dépense publique.

Il s'agit-là d'un impératif démocratique, d'autant que dans le même temps la recherche publique est maintenue dans un état de paupérisation et de précarisation croissant.

Billet original sur Senat Groupe CRC