Entretien paru dans le n° 97 d'Initiatives.

Le projet de loi de finances pour 2016 prévoit une nouvelle réduction de la dotation globale de fonctionnement attribuée aux collectivités de 3,7 milliards d'euros. Pourquoi y êtes-vous hostile ?

Marie-France Beaufils. L'article 10 du PLF prévoit effectivement une nouvelle réduction, de 3,7 milliards d'euros, de la dotation globale de fonctionnement, principal concours de l'État aux collectivités territoriales. Cette réduction interroge sérieusement le sens que l'on tend à donner aujourd'hui au pacte républicain issu des lois de décentralisation. La ponction ainsi réalisée est une sorte de tribut payé par les collectivités locales à la réduction des déficits publics, qu'elles ont pourtant contribué à contenir dans des limites raisonnables. Cela ramène le total de la dotation sous le montant notifié en 2004. Les discours sur l'excès de la dépense publique, sur la nécessité de tenir nos engagements européens, sur la réduction des déficits publics se heurtent de plein fouet à la réalité. Comment parler d'excès des dépenses publiques quand on constate que, un jour de grève des médecins contre le projet de loi relatif à la santé, tous les personnels hospitaliers, y compris ceux qui bénéficiaient a priori d'un congé, sont venus en masse pour aider les équipes confrontées à l'horreur des attentats ? Ne va-t-il pas falloir mobiliser des ressources publiques tant pour les opérations extérieures, que pour la sécurité intérieure du pays ? Ne faut-il pas se poser aussi la question de notre détermination à résoudre les maux dont notre société est frappée, en mobilisant les moyens matériels et humains dont nous disposons, et qui résident autant dans notre police républicaine, une police de qualité, que chez les agents du service public de l'éducation ou ceux du service public de l'emploi qui, dans l'apparente routine du quotidien, accomplissent une tâche immense, et en maintenant une vie associative, riche de ses bénévoles, mais ayant besoin de notre soutien ? Les collectivités territoriales sont en première ligne. Elles ont un rôle essentiel à jouer. Ce n'est donc vraiment pas le moment de réduire leur capacité d'action.

Comment qualifieriez-vous la situation financière de ces collectivités, et notamment des communes ?

Marie-France Beaufils. Nous vivons en état d'urgence absolue. Nous manquons d'argent pour répondre à la détresse sociale, mettre en place une véritable politique de la ville audacieuse. Entre 2001 et 2014, la dotation globale de fonctionnement versée à ma ville est passée de 12 % de ses recettes à moins de 9 %, quand, dans le même temps, la participation des habitants, impôts et contributions pour service rendu, passait de 25 % à 40 % de ces mêmes recettes de fonctionnement. Nous ne pouvons pas continuer comme cela, à demander toujours plus aux classes populaires et moyennes, déjà durement affectées par la crise. Sans compter que cette diminution de nos moyens a déjà eu des effets récessifs. Il est même probable que ces effets ont coûté plus à la société et à l'économie dans leur ensemble que l'effet induit par la réduction de la dotation. Demandée par les députés du groupe GDR et animée par Nicolas Sansu, la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'incidence des réductions des dotations aidera le Gouvernement, s'il en avait besoin, à mesurer la nocivité de cette mesure non seulement pour les collectivités territoriales, mais aussi pour notre économie et par voie de conséquence, le budget de l'État. D'ailleurs, l'Observatoire français des conjonctures économiques considère que la réduction de 11 milliards des dotations se traduira par une perte de 0,55 % de PIB, en raison de la baisse des achats et des travaux des collectivités ! Cette DGF devrait permettre au contraire aux collectivités territoriales de disposer des moyens nécessaires à leur action, à la réponse qu'elles peuvent apporter aux attentes et aux besoins des populations. Élue de terrain dans une ville populaire, plus riche de sa tradition ouvrière et de ses luttes que du fait du revenu ou de la fortune de ses habitants, je ressens au premier chef ces aspirations, de même que je perçois les incompréhensions et appréhensions face aux choix politiques et budgétaires qui, ces dernières années, maltraitent nos services publics.

Comment appréciez-vous le report de la réforme de la DGF envisagée par le gouvernement ?

Marie-France Beaufils. Je m'en félicite parce que cette réforme était précipitée. Elle a d'ailleurs suscité une forte opposition d'une grande majorité d'élus locaux, ce qui a contraint le gouvernement à reculer. Je note cependant que la réforme est inscrite dans la loi de Finances. Elle est simplement repoussée, pas annulée. Or, elle n'apportera aucune solution aux difficultés que nous rencontrons, du fait qu'elle entérine la réduction de l'enveloppe générale. Créée à l'origine pour compenser des impôts retirés aux collectivités, la DGF a été fortement réduite tout au long des dernières années : réforme et gel de la dotation en 1993 ; mise sous enveloppe normée en 1995, utilisation de dotations compensatrices comme variables d'ajustement retirées aux collectivités locales elles-mêmes, en 2004 ; gel à la fin des années 2000 et, désormais, mise à contribution pour participer à la réduction des déficits publics. Elle a beaucoup perdu de ses capacités financières : plus de 2,5 milliards d'euros de pouvoir d'achat de 2004 à 2014. Avec sa réforme, le gouvernement persiste dans cette voie désastreuse.

Êtes-vous partisan dans ce cas du statu quo ?

Marie-France Beaufils. Non, une réforme de la DGF est nécessaire, mais pas celle-là. Dans sa version initiale, la réforme de la DGF n'est pas acceptable, car elle a de fortes incidences sur la situation des villes moyennes et crée de nouvelles inégalités entre communes. La proposition d'une dotation minimale pour chaque commune est une réponse à une revendication forte que nous avions largement débattue et défendue avec Jean Germain lors de la campagne en vue des élections sénatoriales, mais aussi dans une proposition du groupe CRC portée par Gérard Le Cam. Les orientations proposées, notamment cette notion pour le moins surprenante de « centralité », pour répartir la DGF entre les communes d'une intercommunalité, risquent fort de créer une disparité aussi importante que celle qui résulte de l'actuelle économie générale de la dotation. C'est ce que montrent les simulations qui avaient été mises à notre disposition. Elles n'apportent aucune modification au potentiel financier dont nous connaissons les défauts, pas plus qu'elles ne prennent en compte la notion de charges associées à la situation de la population accueillie dans la collectivité.

Mais est-il possible de dégager de nouvelles ressources ?

Marie-France Beaufils. L'autre ambition que doit porter une réforme de la DGF est celle de la péréquation, mais on ne peut pas organiser une juste et équitable répartition de la dotation globale de fonctionnement sur la base d'une dotation rabougrie. Il faut penser dès maintenant à un nouvel outil de péréquation. Nous proposons la mise à contribution des principaux bénéficiaires de l'action locale, c'est-à-dire des entreprises, qui tirent parti, dans leur développement, leur activité et leur interaction avec leur environnement, des efforts réalisés par les collectivités territoriales. Nous souhaitons que cette contribution s'appuie sur la richesse financière produite sans aucun lien avec l'activité directement productrice et qui, aujourd'hui, est défavorable à la création d'emplois. La DGF doit être plus juste, mieux répartie. Elle a besoin aussi de s'asseoir sur de nouvelles recettes. La réduction des inégalités entre nos territoires, entre les communes, la mise en place des ressources adaptées en fonction de leurs besoins supposent une ressource qui pourrait s'appuyer sur une taxation des richesses financières accumulées sans lien immédiat avec la production. Cette taxation, même modeste, pourrait dégager plusieurs dizaines de milliards d'euros et donnerait véritablement les moyens de repenser l'accompagnement solidaire dont ont besoin les territoires les plus fragiles.

Face à ces difficultés, de nombreux maires ne sont-ils pas légitimement découragés ?

Marie-France Beaufils. Comment ne pas éprouver un tel sentiment dans cette situation ? Cela dit, en France, nous avons la chance de compter plus de 500 000 élus locaux, un demi-million de personnes qui se sentent, à des degrés divers, impliqués dans la vie de leur village, de leur quartier, de leur ville, soucieuses d'y agir dans l'intérêt général. Ces 500 000 élus ne constituent pas, de mon point de vue, ce que certains appellent souvent avec dédain la « classe politique ». Ils accomplissent le plus souvent ce mandat, ce bénévolat, dans le plus parfait anonymat. Ce sont ces premiers acteurs qu'il nous faut mobiliser pour faire reculer dans notre pays les divisions factices appelées à devenir meurtrières. Dans le cadre de l'action locale déterminée en faveur de l'école, de la qualité de la vie, de la culture, du sport. Ces élus sont les porteurs de ce pacte républicain que tout le monde appelle à reconstruire et pour lequel nous devons maintenir les acteurs en responsabilité. Mais pour cela, je le répète, nous avons besoin des moyens nécessaires.

PDF - 1.5 Mo
Initiatives n°97

Billet original sur Senat Groupe CRC