index.jpegpar Marie France Beaufils, sénatrice communiste, rapporteure de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

Je voudrais expliquer la démarche qui a été la nôtre lorsque nous avons déposé ce texte, avec les membres du groupe communiste, républicain et citoyen.

Cette proposition de loi s'inscrit dans une certaine vision des transports, que nous avons toujours défendue, et qui consiste à considérer le transport comme un service public et non un service marchand.

Qu'est-ce que cela implique ? Cela signifie que chaque citoyen doit pouvoir disposer du même service, quel que soit l'endroit où il habite et le lieu où il travaille. C'est un point essentiel en termes d'aménagement du territoire. Comme pour le déploiement du numérique, le développement des infrastructures routières, l'accès aux soins, les services postaux ou bancaires, c'est l'ensemble de notre territoire national qui doit être irrigué par des services de transport. Et ces services doivent être de qualité pour l'ensemble des citoyens.

Si l'on assimile le transport public à un service marchand, on laisse la logique de rentabilité et de recherche de profit prendre le dessus, avec les conséquences que l'on connaît : la notion de service disparaît, et les mécanismes de péréquation aussi : seules les lignes de transport les plus rentables sont maintenues.

Cela a deux effets. Sur le plan social, on laisse au bord du chemin tous ceux qui n'ont pas les moyens d'habiter le long de ces axes considérés comme rentables. Sur le plan environnemental, on supprime une incitation à avoir recours au transport collectif, alors que c'est aujourd'hui l'un des principaux leviers disponibles pour maîtriser nos émissions de CO2 et de polluants – comment l'ignorer en cette période de COP 21 ?
C'est pour ces raisons que nous refusons la libéralisation des transports par autocar prévue par la loi « Macron », et que nous proposons de l'abroger, à l'article 1er de la proposition de loi. Car avec cette réforme, nous abandonnons toute logique de péréquation dans l'organisation des transports collectifs. Les entreprises d'autocar pourront intervenir comme elles l'entendent, exploiter les lignes les plus rentables, engranger des profits, sans se préoccuper des personnes qui habitent ou travaillent dans des territoires non desservis.

Plus grave encore, cette libéralisation met frontalement en concurrence deux modes de transport, le mode ferroviaire et le mode routier, dans des conditions très inéquitables.
En effet, le mode ferroviaire, pourtant plus vertueux en termes de protection de l'environnement et de la santé mais aussi de sécurité – et qu'il faudrait donc encourager –, doit supporter des coûts importants liés à son infrastructure, au moyen des péages. Ces coûts sont encore aggravés par le poids de la dette de SNCF Réseau, qui engendre des frais financiers importants.

Les autocars, eux, contribuent à peine à l'entretien des infrastructures routières (ils ne paient des péages que sur les autoroutes), alors qu'ils contribuent fortement à les dégrader, et que leur impact sur la qualité de l'air a un coût élevé pour la société.
Cette mise en concurrence déloyale risque d'écarter de nombreux usagers du mode ferroviaire, et d'initier une spirale négative : la baisse de fréquentation va engendrer une perte de recettes pour les trains express régionaux et pour les trains d'équilibre du territoire, qui rendra ces transports ferroviaires encore plus chers, au moment où ils seront moins utilisés. En conséquence, les autorités organisatrices seront moins encouragées à investir dans le domaine ferroviaire, ce qui dégradera la qualité du service public ferroviaire et écartera encore davantage d'usagers de ce mode de transport, et ainsi de suite jusqu'à la disparition de nombreuses lignes, seules les lignes les plus rentables étant maintenues.

Et je parle bien du présent, non d'un futur lointain, car certains craignent déjà l'abandon, par les régions, de services ferroviaires, plus coûteux, au motif qu'ils sont désormais assurés par ces autocars privés.

C'est pour toutes ces raisons que nous souhaitons abroger la libéralisation des transports par autocar sans tarder, tant qu'il en est encore temps.

Mais nous sommes aussi conscients que le maintien d'un service public de qualité nécessite des moyens financiers.

Or, ceux-ci font cruellement défaut du côté des régions, pourtant devenues autorités organisatrices des transports ferroviaires régionaux en 2002. Celles-ci ont été, je le rappelle, les grandes perdantes de la suppression de la taxe professionnelle. Par ailleurs, les transferts de compétences dont elles ont bénéficié n'ont pas été suffisamment compensés par l'État. Et je ne parle pas de la baisse des dotations…

Or, si l'on pouvait avoir des doutes sur l'intérêt d'un transfert aux régions de ce service public national, force est de constater qu'elles ont pris la mesure de leurs responsabilités dans ce domaine.

Pour donner quelques chiffres, elles ont dépensé, en 2013, 6,8 milliards d'euros au titre de leur compétence « transports » - c'est leur premier poste budgétaire. Au sein de cette enveloppe, 3,9 milliards étaient destinés au transport ferroviaire régional, dont 2,8 milliards d'euros pour l'exploitation des TER.

Ces chiffres sont en constante augmentation au fil des ans, compte tenu de l'inflation ferroviaire. Les régions ont ainsi dû assumer une partie des augmentations successives de la TVA applicable aux transports, qui est passée de 5,5% à 7% en 2012, puis de 7% à 10% en 2014.

Je rappelle aussi que les régions vont récupérer, à partir de 2017, les compétences des départements en matière de transport, en application de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRE). D'après l'Association des régions de France, cela représentera près de 4 milliards d'euros de dépenses supplémentaires.
Si une compensation de ce transfert est prévue, les régions auront tout de même besoin d'une recette supplémentaire, ne serait-ce que pour assumer leurs dépenses actuelles en matière de transport ferroviaire ou pour développer leur offre.

C'est la raison pour laquelle le Sénat avait instauré, dans la loi de réforme ferroviaire d'août 2014, un versement transport au profit des régions, dit interstitiel car il n'aurait été applicable qu'en dehors des périmètres de transports urbains sur lesquels les autorités organisatrices de la mobilité sont compétentes. Ce versement transport, dont le plafond avait été fixé à 0,55% de la masse salariale, et qui devait rapporter de l'ordre de 450 millions d'euros, avait néanmoins été supprimé dans la loi de finances pour 2015 à la demande du Gouvernement, avant même qu'il soit mis en œuvre.

Pour résorber les difficultés de financement que rencontrent les régions, nous proposons donc, à l'article 2 de la proposition de loi, de rétablir un versement transport à leur profit, formé de deux composantes :

1° un versement transport additionnel, dans la limite de 0,2% des salaires, qui s'ajouterait au versement transport déjà perçu par les autorités organisatrices de la mobilité dans leur ressort territorial ; il rapporterait aux régions près de 475 millions d'euros ;

2° un versement transport interstitiel, dans la limite de 0,3%, sur les territoires situés en dehors du ressort territorial des autorités organisatrices de la mobilité. Ce versement, d'autant plus justifié que les régions vont désormais aussi intervenir sur ces territoires, leur rapporterait 228 millions d'euros.

La division de ce versement transport en deux composantes, un versement transport additionnel et un versement transport interstitiel, limite son impact financier sur les entreprises, puisque les plafonds de prélèvement autorisés sont très bas (0,2 et 0,3%). Par ailleurs, les entreprises ne peuvent pas se développer « hors sol » et continuer à demander toujours plus de services et d'interventions de la part des pouvoirs publics, sans jamais daigner participer à leur financement.

Enfin, nous proposons, à l'article 3 de la proposition de loi, un rétablissement du taux réduit de TVA de 5,5% sur les transports publics urbains et interurbains de voyageurs. Comme je vous l'expliquais tout à l'heure, un tel taux a déjà été appliqué aux transports par le passé, on ne pourra donc pas nous opposer sa non-conformité au droit européen. La mesure s'inscrit dans la même logique, qui est de desserrer la contrainte financière pour permettre aux autorités organisatrices de transport de maintenir un service public de transport de qualité, qui puisse être offert de façon uniforme sur l'ensemble du territoire, et pour tous les Français.

L'article 4 de la proposition de loi prévoit, pour compenser les pertes de recettes liées à cette réduction du taux de TVA, une baisse du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, le CICE.

La proposition de loi n'a pas été adoptée en commission.

Permettez-moi pourtant d'insister, au-delà de nos divergences politiques, sur la nécessité de dégager à nouveau des marges de manœuvre financières pour les autorités organisatrices de transport, en particulier régionales, dont l'action en matière de promotion du transport ferroviaire est, je crois, reconnue par tous. C'est la raison pour laquelle je vous invite à adopter cette proposition de loi en séance.
Je vous remercie de votre attention.

Billet original sur Senat Groupe CRC