Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, étant l'auteur, en 2012, d'une proposition de loi visant à garantir l'accès de tous les enfants à la restauration scolaire, je pourrais faire de nombreuses remarques sur le présent texte.

Je pourrais, notamment, pointer l'absence d'introduction de sanctions spécifiques en cas de non-respect de la loi, l'absence de dispositions sur les tarifs ou encore l'absence de référence aux repas de midi. Toutefois, compte tenu de la tournure qu'ont prise nos débats en commission, ce n'est pas sur ces points que je concentrerai mon propos.

Je partirai des raisons pour lesquelles mon groupe avait déposé en 2012 une proposition de loi sur ce sujet.

À l'époque, les cas de refus, par certaines municipalités, d'inscrire à la cantine des enfants dont l'un des parents était au chômage s'étaient multipliés. Ces restrictions, que nous avions alors dénoncées, relevaient souvent d'une posture idéologique, parfaitement ignorante du surcroît de disponibilité que peut nécessiter une recherche d'emploi.

Nous avions donc décidé de proposer l'inscription de cette obligation dans le droit existant, à savoir le code de l'éducation. C'est ce que prévoit l'article 1er de cette proposition de loi. En effet, la jurisprudence en la matière est constante pour reconnaître le caractère illégal, car discriminatoire, de telles décisions de refus d'accès à la restauration scolaire.

Il n'en reste pas moins que cette jurisprudence, à l'évidence, n'empêche pas certains maires de prendre de telles dispositions qui, pour être déclarées illégales, doivent faire l'objet d'une contestation par les familles concernées devant le tribunal administratif.

M. Jean-Louis Carrère. Exactement !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Force doit donc revenir à la loi, qui, dans la hiérarchie des normes, se situe au-dessus de la jurisprudence. De plus, une jurisprudence peut évoluer.

Aussi, lorsque nos corapporteurs nous expliquent que la jurisprudence suffit et que le passage par la loi est « inutile », je pourrais leur retourner l'argument : si cela ne change rien, pourquoi s'opposer à son inscription dans la loi ?

M. Jean-Louis Carrère. Très bien !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. S'agirait-il d'une loi d'affichage ? Ce ne serait pas la première adoptée dans cet hémicycle !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Ce pourrait être la dernière. Ce n'est pas un argument !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Mes chers collègues, je crois que le débat suscité par cette proposition de loi est bien plus profond : on oppose le principe de « réalité » – il faut entendre par là les contraintes budgétaires des communes – au principe d'égalité.

Or nous parlons tout de même de l'accès à la cantine pour des enfants âgés de 2 à 10 ans. Pour certains d'entre eux, le repas qu'ils y prennent est souvent le seul repas complet et équilibré de la journée. Comment étudier le ventre vide ?

Certaines communes ont bien compris l'importance de ce temps périscolaire et l'ont investi pour proposer une éducation à la santé, au goût, au plaisir de manger, à la découverte de la diversité culinaire et des produits bio... Le temps de la restauration scolaire est aussi un temps de socialisation, notamment en maternelle.

C'est également sur le temps de la pause méridienne que s'organisent parfois l'aide personnalisée, et dans le cadre de la réforme des rythmes, les activités périscolaires. À tel point que certaines communes ont restreint l'accès à la cantine le mercredi aux seuls enfants inscrits l'après-midi dans les centres de loisirs.

Certes, les communes qui ont la charge de ce service public se trouvent parfois en difficulté pour accueillir la totalité des enfants.

Cependant, le caractère illégal des restrictions dans l'accès à ce service public facultatif, quand celui-ci est mis en place, a été maintes fois rappelé par le Conseil d'État, lequel l'assimile à un service public annexe au service public de l'enseignement. Il est donc, à ce titre, soumis au principe général du droit qu'est le principe d'égalité devant la loi, auquel le Conseil constitutionnel a reconnu une valeur constitutionnelle, et qui implique l'égalité des usagers devant le service public. Une fois ce service créé, il ne peut donc être opéré de discrimination entre les usagers.

Par ailleurs, le Conseil d'État considère que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que soient instaurées des différences de traitement entre usagers du service public, dès lors qu'existent entre ces derniers des différences de situations appréciables ou que ces mesures sont commandées par une nécessité d'intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation du service.

Ainsi, les tarifs pratiqués par les communes – parlons-en, justement ! – constituent une autre forme de sélection, parfaitement légale, sur laquelle les usagers, en l'occurrence les parents d'élèves, n'ont pas toujours de prise.

Investir ou non dans un service de restauration scolaire relève donc bien d'un choix politique. Dès lors, jusqu'où irez-vous, demain, au nom de ce principe de réalité ? Devrons-nous renoncer, par exemple, au principe de l'égalité salariale entre les hommes et les femmes ? Je ne prends pas cet exemple au hasard, car nous savons que l'accès à un service de restauration scolaire, ou non, peut pénaliser l'emploi féminin.

Le présent texte consacre donc dans la loi un principe d'égalité, sans y adjoindre de mesure coercitive. Les familles confrontées à des restrictions d'accès à la cantine devront toujours en passer par le tribunal administratif pour les contester, ce qui représente pour elles une difficulté majeure.

Mes chers collègues, à l'heure où chacun en appelle au respect des fondements de notre République que sont la liberté, l'égalité et la fraternité, l'adoption de ce texte serait un signal positif qui honorerait notre assemblée.

C'est pourquoi mon groupe votera en faveur de cette proposition de loi.

Billet original sur Senat Groupe CRC