Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme nous avons eu l'occasion de le souligner lors de l'examen, en première lecture, de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, mon groupe ne partage pas l'orientation politique du Gouvernement pour financer la sécurité sociale.

Les mesures positives contenues dans ce texte, que nous avons soutenues, ne sont pas suffisantes pour contrecarrer la privatisation continue de notre système de protection sociale.

Au fond, la question qui nous est posée est la suivante : avons-nous réussi à faire bouger le contenu de certains articles, à améliorer le texte par rapport au projet initial ?

Malheureusement, le parcours législatif et les 46 articles restant encore en discussion n'ont pas changé notre constat, d'autant moins que, en première lecture, la majorité sénatoriale a aggravé les choses : report de l'âge légal de la retraite à 63 ans, instauration de trois jours de carence dans la fonction publique hospitalière, sous le prétexte d'un trop fort absentéisme à l'hôpital, dénoncé par un député Les Républicains lors de la commission mixte paritaire la semaine dernière…

Je le redis ici, j'ai été particulièrement choquée par de tels propos au lendemain d'une mobilisation exemplaire de ces personnels, qui n'ont pas attendu qu'on les appelle après la mise en place du plan blanc pour se présenter spontanément afin de porter secours aux victimes de ces attentats monstrueux.

M. Jean Desessard. Bravo !

Mme Laurence Cohen. Ces reculs sociaux sont inacceptables, et nous sommes satisfaits que les députés aient, en nouvelle lecture, supprimé ces articles de régression.

Toutefois, sur la nécessité de maîtriser plus fortement les dépenses, et malgré la question préalable votée par la majorité de la commission, il n'y a pas de désaccord de fond entre vous, madame la ministre, et le rapporteur général, M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Sachez que nous le déplorons vivement !

Alors que le Gouvernement imposait des restrictions budgétaires drastiques, notamment en proposant un ONDAM hospitalier à 1,75 %, qui ne couvrait même pas la progression des dépenses, évaluée par les pouvoirs publics à près de 4 %, et un ONDAM des soins de ville contenu, la droite a jugé que ces objectifs étaient encore trop importants et a refusé de les voter, en adoptant un amendement de suppression de l'article 55.

Les personnels hospitaliers jugeront, alors que des services sont saturés, que des lits font défaut et que les urgences sont au bord de l'explosion !

En ce qui concerne la médecine de ville, pourquoi vouloir réduire un peu plus la marge de manœuvre des médecins alors qu'ils peinent à faire face au surcroît de consultations et au renforcement de leurs missions dans le cadre du développement de la médecine ambulatoire ?

Raisonner seulement en termes de réduction du déficit de la sécurité sociale, délibérément entretenu – faut-il le rappeler ? –, n'est pas juste, d'autant moins que, dans le cadre du pacte de responsabilité, le Gouvernement entend doubler le montant des exonérations patronales pour les porter à 41 milliards d'euros en 2017, sans même avoir évalué les dispositifs mis en place !

Il faut arrêter cette fuite en avant, qui non seulement ne crée aucun emploi, mais, qui plus est, tire les salaires vers le bas, ce que démontrent les faits et les différentes études.

Le débat que nous portons est un débat de fond. Nous sommes favorables à un financement lié à l'entreprise, lieu où les salariés créent richesses et croissance. Or, vous ne faites, madame la ministre, qu'exempter les grandes entreprises, et la droite sénatoriale en demande encore davantage.

Contrairement à vous, nous soutenons le principe fondateur de la cotisation sociale, chacun cotisant en fonction de sa capacité contributive et recevant des prestations et des soins en fonction de ses besoins.

Cela passe par de nouvelles recettes, ce que vous avez rejeté en première lecture. L'adoption vraisemblable de la question préalable déposée par la majorité sénatoriale, même si elle fait partie du jeu parlementaire, ne nous permettra pas de proposer de mettre à contribution les dividendes des actionnaires et les « retraites chapeau », démontrant ainsi une nouvelle fois que le Gouvernement pourrait faire autrement s'il en avait la volonté politique.

Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale restera donc construit sur un schéma de réduction des dépenses qui a montré ses limites. Faute de recettes nouvelles, toute économie supplémentaire se fait au détriment des prestations sociales.

Madame la ministre, comment soutenir un texte qui poursuit l'étranglement financier des hôpitaux publics, avec 1 milliard d'euros de restrictions supplémentaires, auxquelles il faut ajouter 600 millions d'euros déjà empochés l'année dernière ?

Avec ce projet de loi de financement de la sécurité sociale succédant au projet de loi relatif à la santé, il ne faut pas perdre de vue que, sous couvert des groupements hospitaliers de territoire, les GHT, nombre d'établissements sont menacés de fermeture.

Comment maintenir une qualité de soins pour toutes et tous sur l'ensemble du territoire dans ces conditions ?

Comment ne pas dénoncer la réforme des allocations familiales, une nouvelle fois, qui, sous couvert de justice sociale, récupère de l'argent sur le dos des familles ?

Je n'ai malheureusement pas le temps de revenir sur tous les points de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, auquel nous sommes opposés.

Ce que je dénonce fortement avec l'ensemble de mon groupe, c'est que la politique poursuivie aujourd'hui ne diffère que fort peu de celle que nous combattions ensemble quand vous étiez députée, madame la ministre.

Et cette politique met à mal notre système de protection sociale. Aujourd'hui, pour se soigner dans de bonnes conditions, il faut impérativement adhérer à une complémentaire. Vous encouragez donc les assurés sociaux à se tourner vers des assurances privées.

Ce serait la solution pour répondre au fond à une triste réalité : la sécurité sociale ne rembourse plus suffisamment et les restes à charge deviennent de plus en plus lourds à supporter sans couverture complémentaire. Et dans ce texte, vous reconnaissez que ce recours aux assurances privées n'est pas à la portée de tout le monde, notamment des plus âgés. C'est le fondement de l'article 21, maintenu par l'Assemblée nationale, qui instaure une complémentaire obligatoire pour les plus de 65 ans.

Pourquoi faire ce choix, madame la ministre, de privatiser notre système de protection sociale ?

Pourquoi ne pas mieux rembourser les soins par une prise en charge à 100 % pour les jeunes et 80 % pour les autres, étape permettant d'aller à 100 % pour toutes et tous dans un second temps ?

Madame la ministre, vous avez personnellement remercié, par courrier, les agents de l'AP-HP, Assistance publique-Hôpitaux de Paris, qui se sont fortement mobilisés pour assurer la prise en charge des blessés victimes des attentats qu'a connus notre pays. Vous venez de nouveau de leur rendre hommage ce matin, comme à l'ensemble du corps médical.

Nous nous associons à cette reconnaissance nationale pour le travail accompli par ces milliers d'hommes et de femmes. Mais il faut transformer cette reconnaissance en actes, en redonnant les moyens à un grand service de santé publique de se déployer, de répondre efficacement sur l'ensemble du territoire aux besoins de santé et de prévention de la population.

Il faut avoir l'ambition de mettre en place un véritable maillage d'établissements hospitaliers et de centres de santé, aux côtés de la médecine de ville, dans une logique de coopération.

Ce sont toutes ces raisons qui nous poussent, en ce soixante-dixième anniversaire de la sécurité sociale, à continuer de défendre dans cet hémicycle une protection sociale qui garantisse à toutes et à tous l'accès à des soins gratuits, de proximité et de qualité, car nous estimons que c'est le sens du progrès et de la modernité.

Aussi, comme en première lecture, nous voterons contre ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, si l'occasion nous en est donnée, et contre la question préalable, dont les objectifs sont à l'opposé des nôtres.

Billet original sur Senat Groupe CRC