Alors que notre pays est encore sous le choc des attentats du 13 novembre dernier, notre débat de ce soir a pour but de permettre au Parlement d'autoriser le gouvernement à prolonger de quelques mois l'engagement de nos forces aériennes au-dessus du territoire syrien.

Malgré les apparences, puisque la décision d'intensifier ces opérations a été prise depuis quelque temps et qu'elles ont débuté depuis quelques jours, ce débat n'est pas une formalité juridique.

La principale raison invoquée par le gouvernement pour légitimer ces opérations militaires menées à l'étranger est de répondre à des menaces directes exercées contre notre pays et sa population.

La situation est grave. Elle est complexe comme le sont les analyses, comme les solutions qui doivent contribuer à travailler à la construction d'une paix durable.
C'est la raison pour laquelle, notre groupe se félicite tout d'abord, que, conformément à nos institutions, ce débat démocratique au sein de nos assemblées parlementaires puisse avoir lieu pour examiner en toute connaissance de cause une décision impliquant aussi lourdement notre pays.

Le 15 septembre, nous avions eu un premier débat sur cette problématique à la suite de l'annonce faite par le Président de la République, lors de sa conférence de presse biannuelle, de procéder à des vols de reconnaissance au-dessus du territoire syrien en vue de bombardements.

Nous avions alors fait part d'un certain nombre de réserves, sur l'efficacité même de ces bombardements, et sur la stratégie mise en œuvre pour aboutir à une solution politique de ce conflit régional.

A nos yeux, ces questions se posent toujours. Il est légitime de les poser.

Nous considérons qu'elles se posent dans un contexte qui est profondément bouleversé.
Ainsi, les attentats meurtriers du 13 novembre à Paris donnent une dimension totalement nouvelle, dramatique, aux menaces contre notre pays et sa population.

Les opérations aériennes de la Russie en Syrie, les initiatives diplomatiques en faveur de la formation d'une coalition unique pour lutter contre Daech, les propositions de solution politique pour une transition qui ont permis la reprise des négociations à Vienne sur l'avenir de la Syrie, ainsi que le changement d'attitude des Américains par rapport à l'Iran sont autant d'éléments qui ont contribué à changer les données de la situation.
Les objectifs de nos frappes aériennes se sont diversifiés. Début novembre, celles-ci visaient des camps d'entrainement abritant des ressortissants français et des centres de commandement, elles s'étendent maintenant aux forces de Daech et à ses infrastructures pétrolières.

Nous avons, également, entamé à un appui aérien aux forces kurdes qui le réclamaient avec force.

Je constate ainsi qu'une analyse lucide et pragmatique, ce dont je me félicite, a amené le Président de la République à procéder à des changements significatifs dans la posture stratégique et diplomatique. En responsabilité, nous y sommes très attentifs.
Je relève une affirmation plus nette que cette guerre contre Daech ne peut, à court terme, être gagnée militairement, et que les possibilités de règlement des conflits dans la région ne peuvent être (in fine) que globales, diplomatiques et politiques. Et que ce n'est que, dans ce cadre-là, que la force militaire doit être utilisée.

Nous apprécions cette « feuille de route ». Nous soutiendrons les initiatives qui contribueront à des solutions durables au conflit syrien.

C'est, sans doute, en fonction de ce nouveau contexte que la France a finalement considéré que l'élimination de DAECH était la priorité sans que soit évacuée pour l'avenir une transition politique et diplomatique.

Ce changement de stratégie a trouvé une traduction positive dans la résolution que notre pays a fait adopter à l'unanimité du Conseil de sécurité le vendredi 13 novembre.
Notre groupe reconnaît toute la portée de cette initiative.

Il apprécie à sa juste mesure cette résolution 2249 qui replace, comme nous le demandions depuis le début de ce conflit, l'ONU au centre du dispositif international.
Certes, au regard du droit international, cette résolution ne donne pas formellement l'autorisation d'agir militairement, puisqu'elle n'est pas placée sous le titre VII de la Charte des Nations unies qui prévoit l'usage de la force.

Elle a le grand mérite d'exister et de conférer une légitimité internationale à la mise sur pied d'une large coalition.

C'est par rapport à ces évolutions globales que nous nous situons pour apprécier la nécessité de poursuivre ce volet militaire de la lutte contre Daech que sont les frappes aériennes.

Nous considérons que ces opérations sont nécessaires et qu'elles peuvent être efficaces. Ceci étant dit, elles n'ont de sens, et vous le savez, que si elles s'inscrivent clairement au service d'objectifs et de solutions politiques que devra définir la nouvelle coalition.
En effet, pour neutraliser efficacement et durablement DAECH et les organisations terroristes, l'action militaire doit être articulée à des objectifs politiques.

Désormais, le centre de gravité des problèmes à résoudre se déplace au niveau diplomatique pour mettre sur pied cette grande coalition, mais surtout en définir les objectifs et les contours.

Dans ce cadre multilatéral, l'urgence est maintenant, de parvenir impérativement à un accord sur ces objectifs politiques et sur les moyens à mettre en œuvre afin d'appuyer les forces régionales unies dans l'objectif commun de vaincre Daech.

C'est la raison pour laquelle nous soutenons les efforts et les initiatives que prend le chef l'État qui rencontre cette semaine les dirigeants britannique, américain, russe et allemand pour élargir la nouvelle coalition.

Les questions sensibles ne manquent pas, que ce soit ce qui a trait au calendrier et aux modalités de la transition en Syrie, ou bien encore aux positions ambigües de l'Arabie saoudite, du Qatar ou de la Turquie vis-à-vis de l'actuelle coalition.

Le dernier épisode de grave tension entre la Turquie et la Russie, qui pourrait même être de nature à troubler la mise sur pied de la coalition, est aussi là pour nous prouver combien est difficile et fragile le processus d'entente diplomatique et politique qu'il faut mettre en oeuvre.

Mais malgré toutes ces difficultés, nous restons convaincus de l'impérieuse nécessité de ce processus. Il peut et il doit aboutir à la condition que les objectifs à atteindre soient définis dans la clarté et sans ambiguïté.

De notre point de vue, quelques conditions doivent être remplies.

S'il s'agit d'être efficace contre Daech, il faut assécher ses sources de financement qui lui permettent d'acheter des armes et de payer ses combattants. Il faut s'attaquer à ses circuits financiers et à ses trafics notamment celui du pétrole qui lui rapporte des sommes astronomiques.

Il faut également soutenir et fournir un appui aux forces syriennes et irakiennes démocratiques, parmi lesquels les Kurdes qui combattent sur le terrain.
La résistance de terrain à l'État Islamique doit donc être pleinement soutenue. Dans ce cadre, la France doit peser de tout son poids contre la répression turque envers les Kurdes qui se battent pour leur liberté et notre liberté. Laisser les Kurdes se faire assassiner, c'est perdre la bataille contre Daech.

La France doit répondre favorablement aux demandes des Kurdes syriens en lutte contre Daech en matière de livraison d'armes, de médicaments, de soins aux blessés et d'exiger de la Turquie la levée du blocus qui sépare le Kurdistan syrien du Kurdistan irakien.
C'est pourquoi l'engagement de toute la communauté internationale doit aussi s'appuyer sur les forces régionales qui sont en mesure d'œuvrer à des solutions politiques viables et à la reconstruction des États détruits.

Dans ce contexte nouveau, nous devons mettre fin à ce conflit régional qui tourne au chaos. Notre pays devrait maintenant jouer un rôle plus actif dans les discussions en cours à Vienne pour faire des propositions concrètes sur la nécessaire reconstruction des Etats de la région lorsque celle-ci sera stabilisée.

Enfin, si l'urgence appelle des réponses immédiates, on ne pourra s'exonérer d'une analyse des responsabilités historiques des puissances occidentales, des conséquences désastreuses des interventions militaires dans la région, tout particulièrement de celle des États unis en Irak en 2003, mais pas seulement. C'est une condition essentielle pour ne pas commettre les mêmes erreurs et pour une stratégie efficace.

Monsieur le Ministre, après la déclaration liminaire du gouvernement nous exposant les raisons de prolonger nos frappes aériennes en Syrie, notre groupe veut porter en responsabilité le message que l'usage de la force militaire ne peut être qu'un dernier recours, soumis aux règles de la légalité internationale, et toujours au service d'une solution politique, avec pour objectif l'établissement d'une paix durable. Une paix durable pour toute la région.

Dire cela ce n'est pas de l'angélisme. C'est tirer les leçons de l'expérience, être fidèle à nos valeurs, et répondre efficacement à l'exigence de sécurité de nos concitoyens.
Tel est le sens de notre abstention.

Billet original sur Senat Groupe CRC